Définition
La veille (définition la moins polémique)
“Activité continue et en grande partie itérative visant à une surveillance active de l'environnement technologique, commercial, etc., pour en anticiper les évolutions”. Norme expérimentale XP X 50-053
“Prestations de veille et prestations de mise en place d'un système de veille”
Afnor, 1998
L'Intelligence économique (définition la moins polémique)
“L'intelligence économique peut être définie comme l'ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l'information utile aux acteurs économiques. […] La notion d'intelligence économique implique le dépassement des actions partielles désignées par les vocables de documentation, de veille… (…)”.
Rapport du Commissariat Général du Plan “Intelligence économique et stratégie des entreprises”
La documentation française, 1994.
Trois mots souvent l'intelligence économique :
- la veille
- l'influence
- la protection
Hélas, cette dernière formulation cache les différences entre l'intelligence économique et la veille.
Comparaison entre veille et intelligence économique
Veille |
Intelligence économique |
Démarre d'un besoin ressenti d'être informé. Observation sans apriori de l'environnement. |
Démarre lors d'une difficulté ressentie, une frustration, une anxiété, une envie, d'une situation nécessitant un choix / une décision à prendre. |
Analyse, souvent limitée à une prise de conscience rationnelle. Approche analytique. |
Emergence de vision, conception d'action réactive ou proactive. Approche holistique (questionnement, recherche, analyse, influence, protection). |
Eviter les surprises (les mauvaises surprises) qui risqueraient de nous écarter de nos équilibres |
Provoquer des surprises révélatrices de nos croyances, profiter des déséquilibres, des aléas, des discontinuités, des pistes à explorer |
Aversion au risque forte (réduction du risque de ne pas savoir) |
Aversion au risque faible (prise de risque sur des situations à venir) |
Veiller, alerter la personne en charge, et retourner veiller (flux d'information permanent) |
Lors d'une tâche habituelle, identifier une rupture potentiellement bénéfique, l'évaluer et démarrer une action valorisant cette asymétrie d'information (l'information est davantage un stock qu'un flux) |
De l'information viendra la stratégie, programme |
De la stratégie viendront les besoins de s'informer, variabilité |
Collecte d'un maximum de « données » possibles, tendance à enfler spontanément |
Recherche du minimum « d'informations » nécessaires actionnables pour une situation ou un objectif ponctuel à atteindre, s'arrête et reprend |
L'information a un caractère plutôt statique (savoir quoi) |
L'information a un caractère plutôt dynamique (savoir comment) |
L'information pour transmettre l'information, entropique |
S'informer pour agir, néguentropique |
Fonction de spécialiste |
Démarche de généraliste |
Approche directe et concentration des efforts |
Approche indirecte et répartition des efforts |
Recherche de l'exhaustivité objective |
Consultation d'échantillon en assumant sa subjectivité (Le Moigne) |
Accumulation d'information et acquisition du savoir |
Elaboration d'information et aide à la décision |
Données (beaucoup d'infos blanches et répétitives) |
Renseignements (informations grises et variées) |
Techniques d'observation et d'anticipation |
Positionnement stratégique et offensive légale |
Enjeu d’entreprise |
Enjeu d'un tissu d'acteurs ou intérêt national, rapport de force |
Réduction de la complexité en simplifiant |
Acceptation et parfois provocation de la complexité en l'approchant pour la comprendre et en profiter |
Procédures, formalismes, computo, computation, computer |
Processus, remise en cause, questionnement, cogito, cogiter, cogitation[1] |
Savoir ce qui se passe, connaître le connaissable, ne pas rater le connu connu ni le prévu |
Comprendre les non-dits, les écarts, l'absence d'information, identifier l'inconnu connu et l'inconnu inconnu, travailler avec l'imprévu |
Nécessité de consulter les informations disponibles |
Identification des informations manquantes et suffisantes |
Plutôt savoir (définition de la veille de l'Afnor) qu'agir ; « finalité : création d'une connaissance collective nouvelle » (Afdie, 2004, p. 14) |
Prise de décision (take a decision), faire une décision (make a decision), gérer une crise, résoudre un problème, déplacer et configurer la situation, autrement, afin de trouver une configuration différente qui apporte des degrés de liberté et une influence possible. |
Nécessité ressentie d'avoir de l'information. Sans elle, rien n'est possible. Intoxication insidieuse, besoin croissant d'info. |
Suffisance informationnelle recherchée. L'information n'est pas le problème. Elle est un élément parmi d'autres. |
Analyse, modèle, fuir l'incertitude et l'ambiguïté, simplifiant en enlevant l'individu. Risque de surinformation/surinterprétation |
Design, heuristique, haute complexité incluant l'individu. Risque de manquer des informations (sous-information ou sous-interprétation) |
Évolution à partir de ce que nous savons |
Évolution à partir de ce que nous voulons savoir ou faire |
Irresponsabilité de trouver l'information utile |
Responsabilité de trouver et d'utiliser l'information utile |
Fait surtout appel au cerveau gauche, sang froid |
Fait surtout appel au cerveau droit, sang chaud |
Tiré de la thèse de Pascal Frion (Tableau 4.13. Les comparaisons principales de la veille et de l'IE)
[1] « Le computo devient cogito dès qu'il accède à la réflexivité du sujet capable de penser sa pensée en se pensant lui-même » (Morin, La méthode T3, p. 78).
Vous n'avez probablement pas comme objectif de devenir une société savante, alors nous vous conseillons de penser d'abord en stratège par une démarche d'intelligence économique, plutôt qu'en gestionnaire avec une démarche de veille.
Nous considérons qu'il faut commencer par l'intelligence économique, puis si nécessaire, mettre en place une structure de veille. En d'autres termes, ne vous laissez pas dicter votre conduite par la seule information que vous collectez. Soyez des démiurges et donnez-vous les moyens d'obtenir l'information que vous avez perçu être nécessaire.
Il est à déplorer qu'un certain nombre de personnes et d'acteurs entretiennent la confusion entre ces deux notions. Serait-ce parce qu'elles n'ont pratiqué que l'une de ces deux notions ? Serait-ce parce qu'elles refusent de rentrer dans la problématique des rapports de forces entre entreprises ? Il faut remarquer qu'à un niveau de l'organisation, ces deux notions peuvent se recouper largement. Mais, si nous regardons au niveau des compétences humaines, l'IE et la veille sont très différentes, comme l'indique le tableau ci-dessus.
Le terme “intelligence économique” doit être expliqué et ne plus être assimilé à des notions d'illégalité. Il ne saurait être remplacé par le terme “veille”.